Et si Paris s’essayait à l’urbanisme tactique ?

Le 5 mars 2016, dans le JDD, était dévoilé le projet de réaménagement de 7 grandes places parisiennes (Bastille, Fêtes, Gambetta, Italie, Madeleine, Nation et Panthéon). Une enveloppe de 30 millions d’euros sera allouée par la municipalité pour restructurer des places contribuant à une « ville pacifiée » avec « moins de voitures pour moins de stress ». Cette enveloppe paraît dérisoire pour restructurer ces sept places, alors que l’aménagement de la place de la République avait à elle seule coûté 24 millions d’euros au contribuable. Cependant, dans un contexte de réduction des dépenses publiques, l’allocation de 2% du budget d’investissement annuel de Paris à un projet d’aménagement présentant des risques (mauvais dimensionnement, mauvaise appropriation, etc) mériterait d’être contrôlée. L’urbanisme tactique, en ce qu’il permet l’expérimentation, constituerait un moyen de contrôler la pertinence des projets préalablement à tout engagement financier et politique lourd.

En outre, l’urbanisme tactique permet l’association des citoyens dans le processus de décision publique, en permettant l’empowerment. Principe éthique presque inconditionnel de l’urbaniste (ou seulement de l’urbavenger ?), la recherche de l’empowerment a, pour une collectivité, la finalité pragmatique de légitimer son action.

 

Mike Lydon, jeune urbaniste américain fondateur du collectif Street Plans, fut l’un des premiers à utiliser l’expression « urbanisme tactique » pour décrire les projets low-cost qu’il a pu observer. Dans le manuel Tactical Urbanism : short term action, long term change, dont il est le co-auteur, il explique qu’il tire l’idée de ce vocable d’un blogueur qualifiant en 2010 la piétonnisation partielle de Times Square d’action tactique. L’urbanisme tactique répond à un problème concret. Il repose sur une intervention localisée, de petite échelle, à faible coût et réalisable sur le court terme, pour amorcer des transformations sur le temps long.

De ce manuel, paru en 2010 et mis à jour en 2012, et considéré comme l’acte de naissance de l’urbanisme tactique, Mike Lydon s’essaye à une définition. Il définit d’abord l’objet de l’urbanisme tactique par cette phrase simple : “improving the livability of our towns”, que l’on peut traduire par « améliorer le cadre de vie de nos villes ». Parfois citoyenne (parklet, guerrilla-gardening), cette approche peut également être institutionnalisée et permettre l’expérimentation d’idées et de projets. Lydon donne l’exemple d’une municipalité qui aurait la volonté de créer un grand espace public et à qui il conseillerait dans un premier temps de créer un aménagement temporaire pour 10% du prix du projet. Ainsi, cet aménagement temporaire permettrait de tester la pertinence et le calibrage du projet avant d’engager l‘important coût financier et politique qu’il représente. L’urbanisme tactique permet de mobiliser les futurs usagers d’un aménagement pour les intégrer à son processus de définition. En ce sens, il est particulièrement adapté à l’aménagement d’espaces publics.

Selon Lydon, l’urbanisme tactique repose sur cinq piliers :

  • Une approche réfléchie et progressive pour inciter au changement ;
  • Des solutions locales pour relever les défis urbains ;
  • Un engagement à court terme et des attentes réalistes ;
  • Un risque faible avec des potentiels de bénéfices élevés ;
  • Le développement d’un capital social entre les citoyens et le renforcement de l’articulation entre le privé et le public.

Appliqué à l’exemple du projet des places publiques parisiennes, il s’agirait de mettre en place des installations temporaires (barrières, bancs, éléments en bois, etc) simulant l’aménagement pérenne, afin de constater son appropriation. Le conflit d’usage introduit permettrait d’amener le débat autour de l’aménagement : entre les automobilistes et les piétons comme entre les différents usagers de l’espace public, et de procéder à des ajustements. Cette démarche itérative s’appuyant sur les retours des citoyens et les adaptations progressives de l’aménagement permet alors une prise en compte ascendante de la population et des usagers.

 

Outre un contrôle du calibrage et de la pertinence d’un aménagement, l’urbanisme tactique permet l’octroi à la population d’un réel pouvoir. Outil de démocratie participative, l’urbanisme tactique serait la conséquence logique du développement d’une théorie selon laquelle la ville serait un bien commun à ses habitants (Boniburini I., Salzano E., Béja A., etc). L’urbanisme tactique réinterroge les modes de faire la ville, puisqu’il promeut un décloisonnement entre les prestataires d’un projet et ses bénéficiaires. Il permet à l’usager de voir son rôle évoluer, passant de captif d’un projet à actif dans sa réalisation.

À l’instar de Times Square, définitivement piétonnisé après un an d’expérimentations, la piétonisation des Champs-Élysées un dimanche par mois est-elle une action tactique ?

2 réflexions sur “Et si Paris s’essayait à l’urbanisme tactique ?

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